Je vis ici, dans la vieille maison sombre. Je ne sais pas trop ce que je suis ; personne ne me l'a jamais dit. Je ne sais pas non plus à quoi je ressemble. Je ne suis pas sûr que ça m'intéresse.

Je vis sous le lit abandonné, à l'étage. J'aime l'obscurité et la solitude. Là où je suis, il n'y a personne, sauf parfois la jeune fille qui monte et allume la lumière. Alors je me tapis le plus loin possible sous le lit, le plus loin possible de la lumière. Elle ne reste jamais longtemps, de toute façon. Elle plie des choses, elle fait du bruit, parfois elle tousse, je n'aime pas ça.

De temps en temps, lorsqu'il fait noir dans la maison, je sors de ma cachette. J'ai besoin de me mouvoir, de sentir que j'ai toujours un corps. J'arrive à être silencieux, c'est agréable. Je parcours le couloir, je sens le sol froid.

Lorsque j'arrive en haut de l'escalier, je peux parfois entendre la vieille dame sucer des bonbons. Elle passe de longues heures là, assise dans son fauteuil, dans le noir. Parfois elle se penche et attrape son verre. Elle boit maladroitement. Souvent, elle le renverse en le reposant et ne s'en aperçoit même pas. Elle soupire, elle s'ennuie.

La vieille dame, je crois qu'elle est un peu comme moi. Elle n'aime pas la lumière, elle proteste lorsque la jeune fille, en arrivant, ouvre les volets. Elle n'aime pas non plus le bruit. Je crois qu'elle comprend mal ce qu'on lui dit, alors les gens hurlent, ils ne s'aperçoivent pas que ça lui casse les oreilles. La vieille dame est silencieuse, elle aspire à la tranquillité. Elle aimerait qu'on la laisse, qu'on ne l'empêche pas d'aller dormir. Les gens ont peur du silence alors ils la réveillent, ils lui parlent, ils font entrer le soleil, ils l'embêtent.

La jeune fille, elle a peur de trouver la dame morte en arrivant. Je le sais. Il suffit de voir comme elle soupire de soulagement en l'entendant respirer. Moi je vois tout, j'entends tout. Elle réveille la vieille dame, elle l'arrache à son fauteuil, elle crie, souvent je vais me réfugier sous le lit parce que ça me dérange.

Elle a aussi peur de moi. Lorsqu'elle monte et qu'elle entre dans la pièce, je l'entends marmonner : Je déteste cet endroit. Elle se tient loin du lit parce qu'elle sait que j'y suis. Tant mieux si elle a peur.

Bientôt la vieille dame va mourir. Je le sais. Je sens tout. Alors je serai tranquille.