J’en ai assez d’entendre dire des absurdités sur la psychanalyse, alors au risque de ne faire qu’ajouter un peu de bruit à la cacophonie, j’ai eu pour une fois envie de m’exprimer sur la question.

Le problème de la psychanalyse, quoiqu’en disent ses défenseurs autoproclamés, ce ne sont pas les thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Le problème de la psychanalyse, ce sont ceux qui la représentent. Je veux principalement parler de l’École de la Cause Freudienne, dont je suis pourtant les séminaires avec beaucoup d’intérêt, peut-être parce que justement on n’y entend pas les diatribes guerrières fatigantes qui sont devenues le principal mode d’expression du dirigeant, Jacques-Alain Miller.

Le problème de la psychanalyse, c’est que dès qu’il s’agit de demander l’avis d’un analyste, on fait appel à l’ECF : souvent c’est JAM qui s’y colle, mais j’ai aussi vu récemment Clotilde Leguil aller courageusement défendre Freud contre Onfray dans une émission télé. Elle s’en est d’ailleurs très mal sortie. Et c’est vrai que ce n’est pas facile de développer une question si complexe à la télé, surtout face au discours démagogue et simpliste (donc plus adapté aux circonstances) d’Onfray sur la question, mais elle s’est surtout tiré une balle dans le pied en amenant le sujet sur les TCC, accusant Onfray de les défendre « indirectement » (??) alors qu’il n’en parle absolument pas dans son livre.

Dès qu’on invite un représentant de l’ECF quelque part, il saute sur n’importe quelle occasion pour taper sur les TCC comme si elles étaient le Mal incarné. C’en est complètement ridicule et ça a pour effet de décridibiliser les psychanalystes en les faisant passer pour des espèces de rageux bornés, qu’il est alors enfantin de tourner en ridicule en se moquant de leur fureur pathétique, ce qui a pour effet d’accentuer celle-ci. Parfois — en général — le sujet de l’émission n’a absolument rien à voir avec les TCC, mais qu’importe, on trouve un moyen, le mot d’ordre étant visiblement de profiter de chaque seconde de médiatisation pour porter un coup à l’ennemi.

[J’aimerais savoir quelle connaissance ont réellement les représentants de l’ECF sur les TCC. Je pense qu’ils s’imaginent qu’il s’agit toujours du bon vieux reconditionnement de laboratoire à la Skinner. Réveillez-vous, les choses changent et les TCC aussi. N’allez pas reprocher à vos détracteurs de critiquer la psychanalyse en se fondant sur celle du XIXè, alors que vous vous battez contre le conditionnement de Pavlov.]

On voit donc s’affronter des abrutis qui disent « la psychanalyse, c’est pas efficace » et d’autres abrutis qui répondent « les TCC sont inhumaines ». Les deux camps sont aussi stupides l’un que l’autre et desservent leurs approches respectives, qui, ne l’oublions pas, sont toutes deux utilisées sur le terrain de la clinique par des gens la plupart du temps intelligents qui sont capables de faire la part des choses (je doute qu’il existe beaucoup de psys qui appliquent les principes du reconditionnement comme on le fait dans une expérience, en traitant leurs patients comme des rats. J’en doute fortement.)

On se bat, donc, comme si les deux approches étaient comparables. Comme si elles visaient le même but. Les TCC se veulent objectives tandis que la psychanalyse est expérience subjective, voyage au coeur de soi-même. Comment peut-on une seule seconde prétendre comparer les deux ? N’y a-t-il pas une place pour les deux ?

Oui, la psychanalyse est mise en danger par la tendance actuelle à vouloir tout contrôler, tout objectiver, mais vouloir la disparition complète des TCC, au lieu de leur laisser une place juste (place qu’elles ont déjà prise), c’est viser une seule émanation d’un problème qui est bien plus large et grave que ça.

Je n’aime pas, personnellement, les TCC, ce n’est pas mon approche de l’humain. Si je laisse aux adultes le soin de choisir l’approche qui leur convient le mieux (ce qui n’est pas facile, avec tout ce bordel) je suis plutôt contre l’utilisation des TCC avec des enfants. Je trouve par ailleurs que l’offensive menée par certaines personnes, les défenseurs des TCC en première ligne, contre la psychanalyse, est stupide et dangereuse. Mais les psychanalystes qui sont sur le devant de la scène la défendent très, très mal, en agissant exactement de la même manière que ceux contre qui ils veulent absolument se battre. [« Ah mais c’est eux qui ont commencé, on ne fait que se défendre. »]

Je vais donc la défendre à ma façon. Pour moi, on ne saurait parler « d’efficacité » en ce qui concerne la psychanalyse (et donc la comparer aux TCC), car elle vise des résultats qui ne sont pas mesurables. Elle n’est pas là pour corriger les défauts d’un « malade » qui ne serait pas « adapté » ; elle est là pour accompagner un sujet dans sa trouvaille d’une manière de faire avec le fait de n’être qu’un humain, donc un être faillible, avec le mal d’être qui est inhérent à sa condition et qu’il ne s’agit pas de faire disparaître. 

Impossible de faire rentrer ça dans des grilles, mais les témoignages ne manquent pas. C’est vivant, un témoignage, c’est subjectif, comme la psychanalyse. Qui saura mieux la défendre qu’un sujet qui témoigne de son expérience singulière ?