Quand j'étais étudiante, en rentrant chez moi la première chose que je faisais était d'allumer la radio. J'avais une chaîne hi-fi avec une télécommande, et je vivais dans un studio donc je pouvais l'allumer et l'éteindre de n'importe où ; je l'entendais nettement quel que soit le lieu où je me trouvais — cuisine, salon ou chambre, puisque c'était la même pièce. J'ai une certaine nostalgie de cette époque : j'adorais mon studio, inexplicablement — il n'avait rien d'extraordinaire, juste c'était chez moi. J'y faisais des choses tout à fait banales comme cuisiner, nettoyer, lire, jouer au solitaire sur mon ordinateur, recevoir des potes, dormir et, assez peu, travailler : la vie domestique. J'en garde un intérêt pour la question de l'habitat, de ce qui fait un chez-soi. Et ce qui faisait de mon studio un chez-moi, c'était, aussi, la radio. À l'époque j'écoutais France Inter et je me revois avec précision mixant ma soupe à la courgette, en plein hiver*, au chaud, au son du générique de "L'humeur vagabonde", ou jouant à Tomb Raider en écoutant "La bande à Bonnaud". (Ce jeu me stressait, le son de l'émission me rassurait, me reliait à la réalité comme le tuyau relie le scaphandrier au bateau.) Comme tout le monde, je garde aussi un souvenir ému de la météo marine, et puis le dimanche soir il y avait le Masque et la Plume, qui accompagnait mes nouilles instantanées améliorées, quand je rentrais de week-end en Bretagne.

Le son de la radio, de cette radio, c'était aussi un peu chez moi, et quand j'étais loin, l'entendre me procurait un réconfort inégalable. L'idée même que ce son était accessible de n'importe où, c'était, avant que je possède un smartphone — qui, plus tard, a tenu un peu le même rôle — une sorte de doudou, un bout de ma maison que je pouvais emporter, ou plutôt trouver partout.

Maintenant, je n'ai plus de chaîne hi-fi parce que j'ai un ordinateur et un compte Spotify. Seulement, quand je rentre chez moi, l'ordi est éteint, et le temps de l'allumer et de lancer la radio (qui n'est plus France Inter, mais de temps en temps, j'écoute encore le Masque) depuis le site, ça prend un temps infini et ça ne colle pas avec mon envie de pouvoir allumer, éteindre, rallumer trente secondes après, et puis si je veux entendre de partout il faut que je mette à fond et j'ai peur de déranger les voisins, bref, j'ai acheté une radio. Une petite radio portable à piles, toute simple, que je trimballe partout, de la table au plan de travail de la cuisine ou à la salle de bains, de la chambre à la terrasse (on dirait quand je dis ça que j'habite dans un palace, mais en fait, même dans un appart de taille modeste, le fait d'avoir plusieurs pièces empêche une écoute continue à moins de rester planté au même endroit, ce qui est le contraire de mon usage de la radio).

J'ai changé de maison, j'ai changé de station, j'ai changé de radio, mais je suis toujours aussi fascinée par l'idée qu'on puisse, avec un appareil simplissime et pas cher, sans fil et sans Internet, entendre ce que disent des gens à des milliers de kilomètres, être seul chez soi (ou ailleurs) et partager ce lien avec des multitudes d'auditeurs, ça a, je trouve, un côté profondément réconfortant.

* Ce qui signifie que, oui, je mangeais de la courgette en hiver. J'ai changé.