Le soleil éclate partout, éclabousse tout, de la rivière à gauche qui brille aux façades monumentales de la place à droite, des trois grâces qui occupent son centre à la surface de l'eau du miroir qui la reflète. Nous n'étions pas préparés, nos yeux n'étaient plus habitués, et ils clignent douloureusement pour ne rien rater du spectacle. Sur les quelques marches qui montent vers le miroir d'eau, des touristes sont assis en grappes, bavardant, mangeant, se reposant ou ne faisant rien d'autre que de s'emplir de soleil et de beauté. Au-delà, l'architecture de la place, sa perspective, sa majesté arrogante qui vous crache sa perfection au visage, se déroulent au regard, au fur et à mesure de la marche, comme dans un travelling étudié pour le piéton qui passe entre la Garonne et la surface scintillante du miroir, sur lequel se tient un homme seul. Il a un bandeau blanc noué autour de la tête. Pas très grand, brun, habillé de sombre, il est droit, concentré, bien campé sur ses pieds au milieu de l'eau. Le visage baissé sur le côté, il regarde ou ne regarde pas la pellicule liquide dans laquelle baignent ses pieds. De loin il a l'air asiatique mais peut-être que ce sont son bandeau et sa posture de ninja qui convoquent des clichés. Il se tient, immobile, au milieu de la surface qui frémit sous la brise et qui pétille d'éclats de lumière. Il semble avoir oublié le monde autour de lui.
Les yeux clignotants qui se repaissaient sans vergogne de la ville se sont laissé distraire et sont maintenant fixés sur la silhouette qui est là, qui revendique tranquillement l'espace, qui à elle seule occupe le champ. Il ne fait rien. Il ne fait rien mais il est inhabituel, immobile et silencieux, osant être simplement là, et ainsi faire concurrence au colossal paysage minéral, alors peu à peu les regards se tournent vers lui. Sans qu'aucun bruit n'ait été émis, sans qu'aucun mouvement n'ait été amorcé, une à une les conversations s'interrompent. Les yeux magnétisés s'ancrent à sa silhouette compacte et attendent.
Il étend le bras, lentement, dans un geste amorcé pour lui seul, concentré, recueilli.
Tout le monde regarde, et attend.