Aujourd’hui j’ai participé à un jury de sélection d’entrée dans une école, et j’ai appris un nouveau mot.

« Cortiqué ».

Ça veut dire « intelligent ».

Mais en fait c’est plus souvent utilisé dans son sens contraire, pour éviter de dire « bête ». « Celle-là elle est pas cortiquée ». C’est laid, mais moins que de dire : « Celle-là elle est bête ». Même « elle est pas intelligente », ça aurait l’air d’un gros mot.

En fait on évite de prononcer le mot « intelligence », on va plutôt parler de « capacités à suivre », « réflexivité »… Comme si on ne jugeait pas sur l’intelligence, quelle horreur.

Mais finalement, l’intelligence, c’est presque le premier critère. En tout cas ça l’a été ce matin. 

[Par intelligence, j’entends — juste pour la durée de ce billet — « facultés intellectuelles » : compréhension, vocabulaire… telles qu’elles peuvent être mesurées par un test de Q.I. (On ne dit pas « test de Q.I. », ça fait pas pro, mais bref.)]

La quasi-totalité des candidats qu’on a recalés ce matin, on l’a fait parce qu’ils n’étaient pas assez intelligents. J’ose l’écrire, mais je dois dire que ça me fait bizarre de le faire. C’est presque comme si j’avais écrit : « on les a recalés parce qu’ils étaient Noirs ».

Comme si cette simple constatation, « cette candidate n’est pas assez intelligente », était en elle-même un jugement de valeur. Alors que c’est juste un jugement de capacité : je juge que cette personne n’a pas les capacités intellectuelles pour suivre les études dans cette école. Ça ne veut pas dire que je juge qu’elle a moins de valeur que le candidat suivant.

J’ai remarqué qu’on est en général très très gêné par cette notion d’intelligence. Pour parler des gens qui sont débiles (sont appelés « débiles » les gens qui ont un Q.I. de moins de 85, et ça va de la débilité légère à profonde, mais selon les classifications les seuils changent, comme quoi c’est beau l’objectivité de l’évaluation), pour parler des gens débiles donc, on utilise des expressions plus ou moins heureuses comme « il est un peu limité » ou « elle est simplette ». Mais ceux-là, ça va encore, ils sont pas comme nous, ils sont handicapés. On a encore une certaine liberté dans le vocabulaire. D’ailleurs, pour un débile profond, on se permet plus, on dira « c’est un légume ». Mais alors, pour parler de quelqu’un qui a son bac, comme nous, mais qui n’a pas les capacités pour faire certaines études…

Ben on dit « il est pas cortiqué ».