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jeudi 28 janvier 2016

(re)voir Shoah

Je n'ai pas envie de voir « Salafistes », mais j'ai envie (enfin, "envie"... disons que j'en ressens le besoin) de voir « Shoah ». J'en ai quelques vagues souvenirs d'extraits vus à l'école, mais c'est tout.

J'ai pensé m'enfermer une journée et le regarder d'un coup (il dure dix heures), mais allez savoir pourquoi, je sens que je vais avoir du mal à tenir. Et puis, je sens que c'est quelque chose qu'il faut faire à plusieurs. Se rassembler autour de ces images.

Alors je me dis que, s'il y en a qui voulaient bien m'accompagner, on pourrait organiser ça quelque part à Bordeaux. Le film étant découpé en quatre parties, ça pourrait prendre quatre soirées. À boire des coups après pour se réchauffer.

Dites-moi.

samedi 13 mars 2010

Moi je préfère élever du thym

Le vrai danger, c’est pas la nature ; c’est plutôt l’hôpital et toutes ses interventions technologiques. Hippie Béate, dans Le premier cri, un film de Gilles de Maistre.

Tu laves les couches de ton bébé avec des noix de lavage ? Tu jettes le contenu de ta mooncup dans tes toilettes sèches, et les pelures de tes courgettes du potager dans ton composteur ? Tu te nourris de graines germées et de lait d’amandes bio fait maison ? Alors regarde Le premier cri. Ce film est fait pour toi.

(Cette provocation gratuite est dédiée à Elisabeth Badinter.)

J’ai donc regardé Le premier cri, et ce film qu’on m’avait décrit comme magnifiiiique (et je l’ai cru, je partais vraiment avec un bon a priori), a commencé par me causer un fou rire avant de se mettre à franchement m’énerver.

Je résume : il s’agit de montrer, d’une manière dont on ne sait pas trop où s’arrête le documentaire et où commence le scénario, différentes manières d’enfanter à travers le monde. Et le film s’ouvre sur un accouchement dans une piscine avec des dauphins. Une explication ésotérico-pseudo-scientifique vient nous expliquer les bienfaits des ultrasons sur le bébé, lequel naît d’ailleurs avec des poils sur le front, ce qui m’a achevée (je suis sûre que vous comprenez).

J’ai été attirée par ce film parce que depuis un moment, je m’interroge (ce qui veut dire je m’énerve) sur la surmédicalisation autour de la grossesse et de l’accouchement. En gros, je ressens ça comme une tentative de prise de contrôle de la mère, en l’accablant de recommandations et d’interdictions, et en la regardant de travers dès qu’elle prend 500g de trop, tout en invoquant le bien de l’enfant.

Mais d’un autre côté, le trip « mettre au monde un enfant, quoi de plus merveilleux, quel miracle », qui tend à déifier la mère, c’est pas mon truc non plus et je trouve ça pernicieux pour plein de raisons. Or ici on est en plein dedans, et ça en fait des tonnes — je n’ai pas été surprise une seconde d’apprendre que le film était produit par Disney.

Tout y est : la musique, angoissante quand on est à l’hôpital, devient un choeur de voix apaisant vaguement world lorsqu’on assiste à un accouchement en Amazonie ; à la maternité, le montage est précipité tandis qu’on voit des femmes se tordre de douleur sur des brancards et une main blanche de bébé se refermer sur le vide dans la lumière blafarde, semblant appeler à l’aide, alors que chez les Touaregs, ce ne sont que couleurs chaudes et apaisantes, sages-femmes ridées au savoir ancestral et rites bizarres mais rassurants.

Il y a donc d’un côté la technologie oppressive qui vient brimer la Femme et l’éloigner de son être profond, créé pour engendrer (je n’exagère pas, il y a même quelqu’un qui dit, à un moment, que « le corps des femmes est fait pour ça ») ; l’exemple en est l’hôpital-usine avec son Médecin Cynique et ses femmes qui dorment par terre dans les couloirs. De l’autre côté, le bon sauvage qui est resté fidèle à Mère Nature et à son savoir ancestral en procédant aux accouchements sur le sol d’une hutte ou sur le sable du désert. Entre les deux, une Sibérienne qu’on arrache visiblement de force à sa yourte et à son troupeau de rennes pour l’emmener à l’hôpital lui faire subir une césarienne, tandis qu’au contraire, une Québécoise hippie béate accouche dans une piscine gonflable entourée des membres de sa communauté qui chantent et jouent de la guitare. Vous voyez le mécanisme : tandis que la femme nomade, qui ne demande qu’à « accoucher comme nos grands-mères », en est empêchée par les méchants suppôts de la Surmédicalisation, la femme occidentale refuse en bloc cette tendance et accouche sans aucune assistance médicale.

Pour mettre un bémol à ce message simpliste et béat, on nous présente une Indienne qui vit dans la misère et qui accouche d’une troisième fille — une catastrophe, car cela veut dire une dot coûteuse supplémentaire. Cet épisode vient nuancer l’idée de la maternité forcément épanouissante et de l’instinct de la Femme prôné par la Hippie Béate, qui annonce « ne vous inquiétez pas, je fais confiance à mon corps pour savoir quoi faire en cas de problème ». Il y a aussi l’enfant mort-né de la femme Touareg, mais on voit juste le petit corps posé par terre avant de passer, vite vite, à autre chose, alors qu’on verra dans tout le film trois accouchements avec les dauphins. J’ai donc été tentée de croire cinq minutes que le film n’était pas aussi caricatural qu’il en avait l’air ; mais le peu d’éléments qui auraient pu me le faire penser est englouti par le reste.

Tout ceci n’est, en plus, pas très bien réalisé ; les plans s’enchaînent et s’intercalent sans logique, on passe d’une histoire à l’autre pour revenir à la première, qu’on quitte ensuite définitivement sans être prévenus. Les protagonistes non-francophones ne s’expriment que par le biais d’une voix off censée les personnifier. On ne sait pas trop ce qui est réel et ce qui est scénarisé et l’histoire de l’éclipse solaire, pendant laquelle toutes les femmes accouchent (enfin c’est ce qu’on essaie de nous faire croire), est plutôt ridicule.

Le message est donc que la maternité est forcément merveilleuse, surtout si on laisse faire la Nature et notre instinct. Il y a cette idée que la Nature est forcément belle et bonne, tandis que la médecine et la technologie (l’humain) seraient dangereuses. Quand on voit que la Hippie Béate refuse d’aller à l’hôpital alors même qu’on craint pour sa vie parce que le placenta n’a toujours pas été expulsé au bout de trois heures, on s’interroge quand même sur les excès auxquels le « retour au naturel » (bullshit, soit dit en passant, mais on pourrait faire un bouquin là-dessus) peut en mener certains.

Cela dit et pour finir, je respecte complètement les choix de ces femmes qui font bien ce qu’elles veulent (moi-même je n’ai aucune envie, le jour venu, d’accoucher à l’hôpital). J’ai d’abord été tentée de traiter la Hippie Béate d’irresponsable, mais finalement je crois bien que c’est l’inverse : elle assume complètement son choix et les risques qui y sont liés, et je trouve ça très bien, même si je ne partage pas son point de vue. Ce ne sont pas les individualités présentées dans ce film qui me dérangent, c’est la façon dont le film s’en sert pour délivrer un message à la fois stupide et dangereux.