Belle-Île au petit matin


Elle dit qu'elle est entre deux appartements. Elle doit vendre le sien, grand, beau, pour en trouver un plus petit qu'elle espère pouvoir faire sien en le retapant. C'est, pour elle, la condition pour habiter quelque part.

Elle doit se débarrasser de ses affaires, de tout ce qu'elle a amassé au fil du temps, les belles choses, « on s'embourgeoise ». Mais elle y voit une chance, une façon de se libérer du superflu, de repartir à l'aventure. Longtemps, elle a été une aventurière, refusant de s'installer, vivant entre deux valises.

Il n'a jamais habité quelque part. Il a toujours été nomade. Il a déménagé chaque année, et il a même parfois occupé des canapés d'amis, pendant des mois, faute d'avoir autre part où habiter.

Je suis prête à partir. On parle de cet inconfort de savoir, ou de croire, qu'on va partir, tout le temps, mais sans savoir quand, et de cette attente qui s'éternise. J'ai connu ça récemment, jusqu'à ce que je me décide que j'habitais quelque part jusqu'à ce que je n'y sois plus ; et je suis prête à habiter ailleurs, même demain, car si j'ai besoin d'ancrage, je peux le trouver dans l'autre, le compagnon. J'habite avec lui.

On peut s'installer totalement quelque part, même pour cinq minutes. C'est ce que nous faisons dans ce café, en face de l'hôpital, de façon imprévue.

Il dit que sa précarité, il l'a aimée, car elle a été pourvoyeuse de rencontres et d'inattendu ; mais qu'elle lui a été vivable seulement parce qu'il savait qu'au pire, il pourrait retourner habiter chez ses parents.

Elle dit qu'elle a transmis à son fils cette idée qu'on est en permanence sur le départ, mais que cela ne l'empêche pas, lui, d'habiter chez lui. Il est prêt à tous les parcours, à condition de garder son lieu à lui.

Je dis que je vis cette aventure en voyage, lorsque l'impréparation permet les plus belles rencontres.

Il parle de son voyage, loin, qui fut un voyage total, un voyage dans le sens le plus abouti de ce mot, un voyage comme je n'en ai jamais vécu, un voyage où l'on se perd, où il a perdu ses repères, où il a perdu son père, où il s'est maintenu au fil de la vie grâce au fil de l'écriture.

Je fais le vœu d'habiter, d'en faire un verbe d'action au même titre que voyager, d'habiter de façon consciente et délibérée, et tiens, pourquoi pas, d'habiter même quand je voyage... Bonne année à vous.