Je vois le long couloir. Je vois la porte de secours du fond qui se rapproche. La lumière du jour pluvieux, traversant le verre, donne un éclairage laiteux, laissant la majeure partie du couloir dans l'ombre.
Je vois la porte de droite. J'entends les trois coups que j'y porte, absurdement. Je sens dans ma paume la poignée que j'abaisse après quelques secondes à écouter le silence.
Je vois la pénombre, les volets fermés, la lumière chiche et jaune, inhabituelle. Je vois la lampe de chevet, allumée, bizarrement placée sur une table basse derrière la tête du lit, qui est légèrement inclinée.
Avant de voir ce que je suis venue voir, je prends mon temps. Je vois les photos sur le mur. Ce sont de vieilles photos, en noir et blanc, où des gens vêtus comme il y a longtemps posent et sourient comme cela ne se fait plus. Je vois parmi eux un jeune homme. Je sens le temps qui passe. Est-ce possible ? Je sens le temps qui passe, le vieillissement, les choses qui ne sont plus.
Je nous revois, penchés l'un vers l'autre, assis dans nos fauteuils se parlant doucement comme des conspirateurs, intimement. Je l'entends à nouveau raconter ses bribes, ses lambeaux décousus de mémoire. Je le revois me sourire avec chaleur, content d'avoir parlé, même si c'était dur. Je le revois aussi lever sa canne dans le couloir, se défendant contre les blouses blanches menaçantes, acculé, menaçant mais surtout terrorisé. Je le revois enfin, couché dans ce lit, marmonnant sans fin des propos que je ne comprends pas, me demandant de rester.
Enfin je le regarde. Son visage tendu vers le haut, pâle. Sa nuque est légèrement pliée, les plis de son cou s'étirent, comme s'il avait besoin d'un oreiller supplémentaire pour que son menton se rapproche de sa poitrine dans une position plus calme, plus confortable. Ses paupières légèrement bleutées, ses narines ouvertes qu'on voit trop en raison de l'inclinaison du visage, ses lèvres charnues pour un homme de son âge et de sa maigreur.
Inquiétante étrangeté face à la présence écrasante de ce corps que je vois mais que je ne reconnais pas, qui en étant à la fois lui et tout sauf lui, marque encore plus son absence.