Prendre une inspiration, placer le bec, l'anche ou l'embouchure dans ou sur les lèvres, et déformer celles-ci de façon que le son, quand on souffle, sorte, et si possible soit beau ; tenir l'instrument dans le bon angle, faire courir ses doigts sur les clefs ou les trous, dans le bon ordre, au bon rythme, sans se tromper, sans que les doigts s'emmêlent ni ne trébuchent, sans que l'équilibre de l'instrument entre les mains soit perdu, ce qui demande un engagement du corps tout entier.

Saisir son archet entre ses doigts, prendre le manche et poser ses doigts sur les cordes, appuyer sur les touches, fort, doucement, se pencher, caresser le bois, le taper, s'époumoner ou murmurer, tenir dans le creux de la paume un morceau de métal froid, puis tiède, jouer une mesure, recommencer, jusqu'à ce que ça sonne juste.

Déchiffrer, griffonner, scotcher les feuilles, se prendre la tête entre les mains.

Se bander les mains. Se laisser pousser un ongle. Se masser le poignet avec du baume du Tigre. Faire des exercices pour soulager son dos, sa nuque, ses épaules. S'acheter des lunettes.

C'est ainsi qu'un morceau de bois, de cuivre ou d'un autre métal, d'ivoire, de plastique, ou de tout cela à la fois, c'est ainsi qu'un instrument vient dicter sa conduite à un corps, l'ordonner, lui donner un cadre, le tyranniser parfois, mais aussi lui permettre de se mouvoir, de respirer, de se balancer, de se déhancher, bref de danser.

Je n'arrive pas à trouver celui qui me complétera. Je cherche, je cherche mon prochain partenaire de danse.

[Et dans ces temps de terreur, je souhaite le trouver vite, afin de participer à un effort dérisoire, celui de faire naître un son, de le faire enfler, enfler, gonfler, exploser, contre les ténèbres.]