Elle est allongée sur le sol, les lumières sont éteintes et autour d'elle les corps font silence. On entend la voix d'un homme qui, par vagues douces, emplit l'espace et reflue. Son corps parfaitement détendu, grâce auquel elle éprouve le repos qui fait suite à une série d'exercices, se laisse aller sans qu'aucun muscle ne se tende, sans qu'aucune crispation ne le trouble. Elle entend au loin un tram qui passe et instantanément elle est au quarante-septième étage, dans un grand bureau vide, allongée encore tandis qu'autour d'elle les mêmes corps font silence. Sortie d'elle-même, elle voit son corps étendu dans la pénombre mais son regard ne s'y attarde pas et, au-delà, elle voit aussi à travers la vitre immense les façades, mouchetées de points lumineux, qui emplissent le champ, et le halo de lumière gonflé par les millions de lampes allumées dans la nuit. Chaque lampe est signe d'une présence, d'une personne occupée ne serait-ce qu'à respirer, d'une vie inconsciente de l'existence des millions d'autres vies à côté d'elle, des vies comme des lampes qui vont s'éteindre mais qui seront toujours relayées par d'autres vies et d'autres lampes. Elle entend le grondement sourd de la ville, cette rumeur permanente, comme un rugissement contenu, qu'elle trouve à la fois doux, rassurant et infiniment puissant. Elle puise sa force dans cette énergie immense qui émane de la ville, branchée à cette galaxie, elle inspire de la force, à plein poumons, sa poitrine se gonfle, se dilate, elle a l'impression qu'à chaque inspiration l'énergie vient se répandre dans tout son corps, dans ses jambes, dans ses bras. Et son corps et son esprit goûtent cela et sourient, sans bouger d'un millimètre, tandis que la voix reflue une dernière fois.