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Voilà, c'est dit.

Après des semaines à tergiverser, j'ai enfin pris conscience que je ne me posais pas les bonnes questions.

La question, ce n'est pas de savoir comment je vais oser dire à ma belle-mère (par exemple, hein) qu'il ne suffit plus qu'elle fasse l'effort de me cuisiner un plat végétarien à part chaque fois que je mange chez elle (elle a même acheté un livre de recettes végétariennes, et teste les recettes à l'avance, c'est dire si ma belle-mère est fantastique), mais qu'en plus il va falloir qu'elle cuisine sans oeufs, crème, fromage ni beurre, pour que je puisse être végane. Sachant que sa cuisine, qui est une part très importante de sa vie, est composée à 90% de ces ingrédients. Et de viande.

À cette question, je n'ai pas de réponse. Je ne peux pas lui dire ça. Je ne peux pas non plus refuser le dessert plein de beurre que ma copine a préparé pour me faire plaisir — et de fait, ça me fait plaisir. Pour moi, la question posée telle quelle est insoluble.

Et en même temps, depuis que j'ai lu ce livre (lire cette interview pour avoir une bonne idée du contenu du livre), je ne peux plus me contenter d'être végétarienne. Et je ne peux plus non plus me contenter d'être végétarienne-mais-je-mange-végétalien-la-plupart-du-temps-et-je-n'achète-plus-de-cuir.

Alors ce matin, je me suis dit : comme le psychanalyste, le végane ne s'autorise que de lui-même. Personne ne va venir me délivrer un diplôme de véganisme. Personne ne viendra me l'enlever si je mange les lasagnes végétariennes (mais avec du gruyère dessus) que ma belle-mère m'a cuisinées.

Je suis végane, c'est une prémisse, pas la sanction d'une pratique irréprochable qui serait validée par qui de droit après une période donnée sans aucun écart. Je suis végane, donc je vais pouvoir enfin avoir cette discussion avec mes proches, et peut-être qu'un jour, il sera possible à ma belle-mère de me servir quelque chose qui ne contienne pas de sous-produits animaux — ou bien, peut-être que la discussion nous fera arriver à une autre solution, par exemple que j'apporte toujours quelque chose à partager, ou qu'on sorte plus souvent au resto afin que je puisse prendre un plat végane.

Et je ne cesserai pas de me considérer végane parce qu'au repas de midi, j'ai mangé du crumble de légumes bourré de parmesan pour ne pas blesser ma mère/ma belle-mère/mon ami.e qui a passé du temps à le cuisiner pour moi. De même que je me considère écolo alors que je roule en diesel. Je souhaite, j'ai l'intention de cesser de rouler au diesel un jour. Ça me préoccupe, ça me met dans une position inconfortable. Pour l'instant, je n'ai pas d'autre solution.

Vous savez quoi, je suis aussi féministe. Et pourtant, il m'arrive d'avoir des comportements et des pensées sexistes. Il m'arrive aussi d'avoir des comportements et des pensées racistes. Je déteste ça. Je travaille là-dessus.

Donc quand il arrivera sur la table, je mangerai du crumble de légumes, mais j'essaierai de faire en sorte que ce soit la dernière fois. Et d'ailleurs, je parie que le fait d'enfin me dire végane aura pour conséquence de me donner plus de force pour refuser, ou du moins pour préciser que je fais une exception pour cette fois, et que ce sera plus facile à dire parce que j'aurai à ma disposition ce mot — qui pourra être une bonne façon de lancer une discussion.

Maintenant, pourquoi vouloir à tout prix mettre un nom sur ses habitudes alimentaires et ses pratiques de consommation ?

Parce que c'est plus clair, pour soi. Je ne commanderai plus le fondant au chocolat (sauf s'il est végane !) au resto, en me disant que « de toute façon je ne suis pas strictement végane (puisque c'est trop compliqué quand on est invité) alors c'est pas si grave ». Je n'achèterai plus de fil contenant de la laine pour tricoter, même magnifique, parce qu'il est super-soldé et que bon, je ne suis pas strictement végane donc après tout...

Parce que c'est plus clair, pour les autres. « Mais tu manges quand même des oeufs ? — Heu, pas chez moi, mais à l'extérieur ça m'arrive, parce que sinon ça serait trop compliqué... » (le tout bredouillé en rougissant tandis que l'interlocuteur est déjà passé à autre chose) : cette position, autrement appelée « Je ne veux surtout pas passer pour une chieuse », est difficilement lisible pour les autres, qui ne vont pas savoir comment se comporter (est-ce que je peux ajouter de la mozzarella sur cette pizza, bon sang ? décide-toi). Être ainsi au milieu du gué n'a pas grand sens : de toute façon, les gens ont bien compris qu'on avait une spécificité alimentaire, donc inutile d'essayer de (se) faire croire que cela n'aura aucun impact sur la vie sociale. Évidemment, se déclarer végane, ça oblige à s'assumer, à renoncer à cette posture qui consiste à avoir des convictions sans le dire trop fort pour ne surtout pas déranger. Et donc à expliquer, argumenter, de façon franche et claire (ce qui n'empêche pas la bienveillance, évidemment) si on nous questionne. Et à passer parfois pour un.e extrémiste rabat-joie. Mais franchement, les bonnes surprises sont aussi au rendez-vous.

Parce que ça permet de diffuser un message. Dire qu'on est végane, ça risque d'avoir plus d'effet que de dire « je suis végétarienne et je ne consomme pas de produits issus des animaux la plupart du temps mais à l'extérieur ça m'arrive parce que c'est trop compliqué » (l'équivalent de « Je suis pour l'égalité des sexes mais seulement le mardi parce que je suis pas féministe ohlala non non »). « Végane », c'est un mot qui renvoie à un sens commun, compris de tous. C'est une position claire, qui n'engage pas que soi et ses petites préférences alimentaires. Or, le message, il est grand temps qu'il soit entendu (après, chacun choisit de conformer ses pratiques à cette idée ou pas, mais au moins, l'information est passée).


« (...) si pour une raison ou une autre, quelqu’un n’est pas prêt à devenir végane, je crois qu’il a au moins l’obligation morale de promouvoir le véganisme. J’aime bien comparer ça à une personne qui fume, mais qui encouragerait les autres à ne pas le faire. »

(Martin Gibert, sur Penser avant d'ouvrir la bouche)

Pour finir, à propos du sentiment de culpabilité. On m'a objecté récemment que je voulais devenir végane par sentiment de culpabilité (je résume). Ça ressemble un peu à l'argument « Mais c'est pas un peu extrémiste ? » : on se gâche la vie, on va trop loin, on se laisse gouverner par ses sentiments, on s'auto-flagelle. À cela je réponds : non, je ne fais pas ça par sentiment de culpabilité. À aucun moment. D'ailleurs, tout comme Martin Gibert, je n'ai pas spécialement d'attirance pour les animaux à la base (c'est bizarrement le fait d'être devenue végétarienne qui a changé mon rapport à eux, un rapport devenu non pas affectif mais que je définirais plutôt comme un sentiment d'égalité, l'impression de faire partie du même monde qu'eux — sans y avoir spécialement réfléchi, c'est vraiment un effet inattendu qui est de l'ordre du ressenti, et que je n'ai pas fini d'explorer). Bien sûr, quand je vois des images atroces d'animaux torturés, je me sens mal, comme tout le monde. Mais je n'en avais jamais vu avant de devenir végétarienne (comme il est facile de ne pas voir !). Et encore aujourd'hui, quand je vois de la viande dans l'assiette de mon voisin ou des yaourts dans un rayonnage de supermarché, je ne visualise pas l'animal mort qui est derrière (oui, le lait aussi). Pour reprendre le titre du bouquin sus-mentionné, je ne vois toujours pas mon steak (ou plutôt celui de mon voisin) comme un animal mort. Ce n'est donc pas par sentiment de culpabilité que je suis végane (du reste je ne suis pas sûre de penser que ce serait nécessairement une mauvaise chose). Je suis végane parce que je pense qu'il est possible, et meilleur pour notre santé et pour la planète, de vivre sans faire souffrir d'autres êtres sentients, et donc qu'on devrait le faire.

Maintenant je serais ravie d'en discuter, sur le net ou ailleurs, avec d'autres personnes qui ont vécu ou vivent des expériences similaires ou tout simplement que la question intéresse. Tout ça est très nouveau pour moi et ma position évolue. N'hésitez pas à vous manifester, que ce soit pour m'encourager, me contredire, me questionner... La surexposition de ce mouvement sur Internet peut donner l'impression inverse, mais en réalité, on se sent parfois un peu seuls, nous les véganes !