J’ai des impatiences. J’en ai de plusieurs sortes.

Il y a les impatiences des changements de saison. Les premières odeurs, les premières masses d’air de l’automne font surgir en moi des souvenirs et des envies de bougies, de soupe fumante à la butternut, de tricot et de livres ; mais aussi de promenades, le nez dans le froid piquant, au bord de la Garonne ou de l’Atlantique, le dimanche après-midi dans la lumière éclatante, ou bien au crépuscule, quand on profite autant des sensations du moment que de la promesse du chez-soi qui nous attend. Il y a une ambiance particulière à ces instants qui n’a pas de nom, car le mot de « bonheur » en dit tout et n’en dit rien ; il faudrait, ou il ne faudrait pas, en inventer un.

Les mois d’équinoxes sont remplis de ces impatiences, qui sont sans doute plus délicieuses en elles-mêmes que les moments qu’elles réclament. Serait-il possible qu’un jour, les seconds soient à la hauteur des premières ? En attendant, j’ai choisi d’aimer ces impatiences-là.

Il y a d’autres impatiences, moins agréables, moins généreuses, car elles n’ont rien à voir avec le désir. Elles sont, de fait, l’image inversée des premières : de l’ordre de l’inconfort, elles se produisent lorsqu’il y a des choses à faire — or il y a toujours des choses à faire — et qu’on sent le poids de toutes ces choses, qu’on est pressé d’avoir réglées ; mais ce moment n’arrive jamais — ou bien, s’il finit par arriver, lorsqu’on a rempli ses obligations, et que toutes les circonstances sont réunies pour goûter enfin la paix du silence, une autre impatience se présente, et il faut se relever pour aller, je ne sais pas, chercher un mouchoir, ranger le linge ou répondre à un mail. (Le mot « impatience » en médecine désigne le syndrome des « jambes sans repos », qui me paraît être un bon équivalent de ce qu’on pourrait, pourquoi pas, appeler l’esprit sans repos.)

C’est comme si mon être cherchait un retour impossible à un état mythique, celui du repos total, de l’absence de toute tension ; et cet agacement, cette petite voix qui me signale une perturbation dans l’homéostasie, serait-ce, au fond, une forme de vie qui frappe à la porte, qui se manifeste pour me prémunir contre un endormissement prématuré ?

(J’ai dit que ces impatiences n’avaient rien à voir avec le désir, mais j’ai l’idée que, bien au contraire, il s’agit bien d’un désir que je ne veux pas entendre, qui vient me déranger ainsi. Mais chaque chose en son temps. Il y a des choses pour lesquelles il ne faut pas être trop impatient. Pour d’autres, eh bien, je crois que lorsque j’arrêterai de l’être, je serai morte.)

Crépuscule à Bordeaux, 2011