Elle a plus de cent ans. Abandonnée dans son fauteuil, la tête renversée contre le dossier, elle regarde dehors.

Elle est vêtue d'une simple robe en laine boutonnée par devant, portée à même la peau. Ses jambes nues sont intimement croisées, ses pieds chaussés de mules ; sous sa peau sombre, son squelette affleure, mais ce n'est pas effrayant, plutôt émouvant. Son ventre, un peu arrondi malgré sa maigreur, se soulève et se baisse doucement au rythme de sa respiration. Son visage tourné vers la fenêtre est encadré de cheveux blancs simplement coupés au carré. Aucun apprêt, aucune coquetterie. On n'entend que sa respiration. Elle est belle.

Elle me regarde. Elle soupire, elle en a marre. Elle me scrute de bas en haut, penchée vers moi, l'air méfiant et les yeux plissés, elle regarde mon badge où sont écrits mon nom et ma fonction.

Elle m'engueule parce que je lui ai demandé comment ça allait. C'est vrai que c'est une question stupide.

Elle sait, et je sais, que toute parole que je pourrais formuler serait pour moi, et pas pour elle. Pour me rassurer, me donner l'impression que tout ça a du sens, qu'il y a quelque chose à dire. Alors je me tais et ensemble, on regarde dehors.

Il n'y a plus rien à dire.